accompagné de deux de ses domestiques, au moment où Marie était déjà montée sur un cheval et prête à suivre son amant. Uglian leur cria de s'arrêter d'une voix menaçante. Les deux rivaux étaient armés suivant l'usage. Maglanovich tira le premier et tua le seigneur Uglian. S'il avait eu une famille, elle aurait épousé sa querelle, et il n'aurait pas quitté le pays pour si peu de chose; mais il était sans parents pour l'aider, et il restait seul exposé à la vengeance de toute la famille du mort. Il prit son parti promptement et s'enfuit avec sa femme dans les montagnes, où il s'associa avec des heyduques[21 - Espèce de bandits.].Il vécut longtemps avec eux, et même il fut blessé au visage dans une escarmouche avec les pandours[22 - Soldats de la police.]. Enfin, ayant gagné quelque argent d'une manière assez peu honnête, je crois, il quitta les montagnes, acheta des bestiaux et vint s'établir dans le Kotar avec sa femme et quelques enfants. Sa maison est près de Smocovich, sur le bord d'une petite rivière ou d'un torrent, qui se jette dans le lac de Vrana. Sa femme et ses enfants s'occupent de leurs vaches et de leur petite ferme; mais lui est toujours en voyage; souvent il va voir ses anciens amis les heyduques, sans toutefois prendre part à leur dangereux métier.Je l'ai vu à Zara pour la première fois en 1816. Je parlais alors très facilement l'illyrique, et je désirais beaucoup entendre on poète en réputation. Mon ami, l'estimable voivode Nicolas***, avait rencontré à Biograd, où il demeure, Hyacinthe Maglanovich, qu'il connaissait déjà, et sachant qu'il allait à Zara, il lui donna une lettre pour moi. Il me disait que, si je voulais tirer quelque chose du joueur de guzla, il fallait le faire boire; car il ne se sentait inspiré que lorsqu'il était à peu près ivre.Hyacinthe avait alors près de soixante ans. C'est un grand homme, vert et robuste pour son âge, les épaules larges et le cou remarquablement gros; sa figure est prodigieusement basanée; ses yeux sont petits et un peu relevés du coin; son nez aquilin, assez enflammé par l'usage des liqueurs fortes, sa longue moustache blanche et ses gros sourcils noirs forment un ensemble que l'on oublie difficilement quand on l'a vu une fois. Ajoutez à cela une longue cicatrice qu'il porte sur le sourcil et sur une partie de la joue. Il est très extraordinaire qu'il n'ait pas perdu l'œil en recevant cette blessure. Sa tête était rasée, suivant l'usage presque général, et il portait un bonnet d'agneau noir: ses vêtements étaient assez vieux, mais encore très propres.En entrant dans ma chambre, il me donna la lettre du voivode et s'assit sans cérémonie. Quand j'eus fini de lire: vous parlez donc l'illyrique, me dit-il d'un air de doute assez méprisant. Je lui répondis sur-le-champ dans cette langue que je l'entendais assez bien pour pouvoir apprécier ses chansons, qui m'avaient été extrêmement vantées. Bien, bien dit-il; mais j'ai faim et soif: je chanterai quand je serai rassasié. Nous dinâmes ensemble. Il me semblait qu'il avait jeûné quatre jours au moins, tant il mangeait avec avidité. Suivant l'avis du voivode,
страница 8
Пушкин А.С. Стихотворения 1834